Mona Ozouf : Composition française. Retour sur une enfance bretonne

mercredi 27 mai 2009, par Édith Bernheim

Gallimard, 2009

Entre la maman directrice d’école maternelle, la grand-mère, veuve d’un marin au long cours, et les bâtiments de l’école d’un petit bourg breton où elles sont logées, l’univers de la petite Mona paraît bien délimité, rassurant, peut être un peu étouffant ? Mais l’enfant vit au milieu de trois courants de pensées disparates souvent antagonistes.

Dans un livre passionnant, vivant, magnifique, l’auteure s’interroge sur ces contradictions. A la maison les convictions du père, instituteur, mort prématurément et surtout militant breton très engagé, dominent. Les ascendants, comme ceux de Jakez Hélias, sont pauvres, durs à la tâche, humbles, mais dignes. Magistral, le portrait de Marie Scolastique, la grand-mère ! : « Son costume, sa coiffe, sa langue imagée, ses savoirs multiples, tout en elle parle de l’identité bretonne ». Elle n’a appris à écrire que fort tard pour ne pas livrer à l’écrivain public ses lettres au jeune mari si souvent absent. Pour elle « le rôle essentiel des femmes est de rendre la vie vivable ». Les tâches des hommes et des femmes sont clairement réparties mais la grand mère en inverse la hiérarchie coutumière. Cette personne énergique qui aime voir le monde en ordre a pourtant une certaine malice libertaire « elle nourrit une tendresse railleuse pour le vagabond du village ».

Par contre, à l’école de la République, « on gomme les différences, on oublie d’où l’on vient, on ne parle que français, on ignore la vie régionale » ; l’école est le lieu « où l’on se sent comme tout le monde ». Au contraire, à l’église on méprise la République et les enfants « de la laïque ». Pour la petite fille l’église figure le lieu de l’inégalité. La religion y est présentée de façon froide sans rien ou presque qui donne à rêver, on y pratique la pédagogie de la peur.

Les années de lycée à Saint Brieuc, pendant la guerre, sont austères mais tellement enrichissantes, la jeune fille a le privilège de fréquenter la famille et la maison de Louis Guilloux. Ce dernier est son « indicateur de lectures ». Enfin Paris, khâgne, la Sorbonne, Normale Sup., ce sera le ralliement à l’Universel ! En nous racontant son parcours et son évolution, Mona Ozouf se pose, nous pose, pleins de questions. Issu de la diversité, chacun de nous devrait arbitrer en toute liberté entre ses différentes attaches, les hiérarchiser et réussir sa propre « composition française ».