Jean Rolin : Dinard, essai d’autobiographie immobilière

lundi 24 septembre 2012, par Élizabeth Legros Chapuis

La Table Ronde, 2012
Photos de Kate Barry

Dès le début de ce court récit (le livre fait 60 pages, dont la moitié de texte), Jean Rolin annonce la couleur : on ne va pas se prendre au sérieux. « Tenez-le-vous pour dit : tout ce que je raconte ici pourrait aussi bien n’être qu’un tissu de mensonges »… On ne pourra pas dire qu’on n’était pas prévenus. D’ailleurs, un simple coup d’œil à la biographie de l’auteur dément ce que dit sa toute première phrase : non, il n’est pas né en 1953 (mais en 1949) ni à Dinard (mais à Boulogne-Billancourt). Mais on n’est pas là pour débrouiller le vrai du faux ni pour tenter de distinguer ce qui est délibérément inventé de ce qui est spontanément déformé par la mémoire.

Ce qu’on va faire avec ce petit livre à l’élégante typographie bleu marine, c’est une promenade à Dinard, et Jean Rolin va nous y conduire en nous tenant par la main et en nous racontant le produit de sa fantaisie légère et mélancolique. Les détours involontaires de la mémoire, d’ailleurs, il connaît : telles rues formant « un triangle que ma mémoire se représente comme parfaitement isocèle », un jardin dont « je me rappelle qu’il était vaste, ou qu’il me paraissait tel ». Donc, ce Dinard où sa grand-mère avait une villa, « baptisée Mangaréva », il en détaille la topographie, les noms de rues, parfois citant à l’appui des Cahiers du Patrimoine – dont je n’ai pas cherché à vérifier s’ils existent réellement.

Cette ville balnéaire dont il confie (sans rire ? qui sait ?) : « J’espère que l’on comprendra mieux, à la lumière de ce qui précède, pourquoi Dinard est resté, pendant la plus grande partie de ma vie, le lieu où je rêvais malgré tout d’habiter ». C’est aussi la villa Greystones, « le rêve de ma mère », qui lui offre le prétexte d’une digression sur Los Angeles, Beverly Hills plutôt, ne serait-on pas dans un vieux film américain ? Le narrateur a effectivement essayé (d’où le titre…) d’acquérir à Dinard « un logement avec vue sur la mer ». Ce sera le studio de la rue Coppinger, « ce logement que j’ai beaucoup aimé », où il accède en descendant quelques marches « comme dans un caveau ». Mais il n’y restera guère : « Puis je dus vendre (ma fortune avait tourné) ».

Car cette « autobiographie immobilière » vient aussi marquer le passage du temps, quand Rolin note que « les autocars de ligne régulière étaient encore nombreux, en ce temps-là » ou que la croissance incontrôlée des choux dans le jardin fut « l’un des signes auxquels on reconnut […] que l’ordre ancien des choses était décidément révolu ». D’ailleurs la villa de la grand-mère se trouve « promise à la destruction ».

Mais quand on se sentirait tenté par la nostalgie, la dérision prend le relais : « Je ne me souviens plus, en revanche, des dimensions exactes du jardin de ma grand-mère (d’ailleurs tout le monde s’en fout, il faut bien le reconnaître) » ou encore « Je m’en voudrais de vous emmerder plus longuement avec ces choux ». Les dernières pages bouclent la boucle : « Ah ! une dernière chose, avant que je ne me dépouille de mon costume de scène pour retrouver ma véritable identité ».

À ces plaisants vagabondages s’accordent à merveille les images de la photographe Kate Barry (la fille de Jane Birkin) qui, comme le dit Nathalie Crom, « a saisi la ville comme au sortir d’une nuit pluvieuse : désertée, silencieuse, grise, mouillée, tout ensemble intensément concrète et songeuse ». Une ville comme venue d’un rêve, où ne figure aucun personnage, laissant la porte ouverte à l’imagination du lecteur.