Jacques Lacarrière : Sourates

jeudi 16 mars 2006, par Brigitte Fauquet

Albin Michel, 1990

Je vous engage à lire Sourates de Jacques Lacarrière, un petit livre très dense qui pourrait être à lui seul un témoignage spirituel de l’écrivain.

Sourates ne désigne rien d’autre qu’un verset ou chapitre mais avec le Coran, il a aussi le sens de révélation, « de voix reçue de l’homme - dieu qui est en nous ». Mais ne vous effrayez pas, cette voix , chez Lacarrière, est tout à fait intime, et les chemins spirituels qu’il emprunte sont bien réels, bien concrets. Ils nous mènent à Sacy, en Bourgogne, un village de cultivateurs, d’artisans, de retraités, un village ordinaire. Ce n’est ni Vézelay, ni Tolède, ni Jérusalem. Ils nous mènent au grenier de sa maison qui recèle un inventaire de ses « ailleurs », comme il dit, quelques objets témoins de ses errances : un papyrus égyptien, un galet de Patmos, une reproduction du disque de Phaïstos du musée d’Athènes, une photo de sa compagne prise dans un désert, une mésange empaillée, qui sont des points de départ à une réflexion sur sa vie et la nôtre.

On rencontre dès le début de ce petit livre cette formidable capacité de l’écrivain-philosophe à s’enraciner dans un terroir et à la fois à le quitter pour aller à la recherche d’autres cultures, poussé par la passion des mythes, grecs, égyptiens dont il ne craint pas de rapprocher L’Évangile selon St Jean : « Ici a commencé le Verbe. Au début était le Verbe ».

Le Verbe, préoccupation majeure de l’écrivain-artisan.

Car chez Lacarrière, aucun concept lourd, rien que des images. Le philosophe est avant tout poète. Il part souvent du familier, du connu, de choses toutes petites parfois : la colline en face de sa maison, l’herbe de son jardin, le papillon de nuit venu se poser sur sa table de travail, pour se situer dans le monde, réfléchir à la place qu’il y occupe, en prendre la mesure. En poète, encore bien plus qu’en philosophe. On ne s’ennuie jamais en compagnie de cet « oiseleur du temps ». La richesse des mots, des images, des associations, leur justesse aussi, surprend tout le temps. Dans la « sourate du visage », on s’attend à un autoportrait psychologique, eh bien non, c’est à une réflexion d’anthropologue qu’il nous convie.
De l’art de s’élever du particulier à l’universel.

Un livre, vous l’avez compris, auquel on peut revenir souvent, un vrai livre, un livre de chevet.