Ludovic Cantais : J’aimerais qu’il reste quelque chose

lundi 9 décembre 2019, par Véronique Leroux-Hugon

film documentaire (2019)

Ce souhait est souvent formulé dans l’avant-propos des textes que nous recevons. Ici, il s’agit d’un documentaire, soutenu par le Mémorial de la Shoah, qui décrit la quête inlassable des traces mémorielles, animée chaque mardi par des bénévoles. Ils reçoivent ici des survivants de la Shoah, plus souvent leurs descendants, qui apportent, soit soigneusement classés sous des feuilles plastifiés, soit dans des sacs informes, les écrits et les objets laissés par les leurs, prisonniers à Pithiviers ou déportés dans les convois de la mort.

Les bénévoles suivent manifestement un protocole précis pour enregistrer les écrits et objets qui leur sont confiés, noter les histoires, avec une attention soutenue pour les témoins, qu’ils vont également écouter en province, échangeant leurs impressions dans le train du retour. Impressionnantes également sont les séquences ou les enfants et petits-enfants expliquent le contexte dans lequel ces papiers (bien souvent faux mais qui ont permis la survie) ces lettres, et donc ces objets se sont retrouvés entre leurs mains, soigneusement conservés, et transmis au Mémorial quelquefois avec réticence, et une sorte de désarroi, tant ces traces sont les seules qui leur restent.

Quelques exemples : de fausses cartes d’identité, des étoiles jaunes, un pyjama rayé, ou un brassard, très fragile, des lettres comme celle, la dernière, qu’un père adresse à son enfant, « Coco » ; ou encore ces magnifiques objets en bois, un bateau, une boite à cigarettes confectionnés au camp de Pithiviers, très astucieux, et dont le mécanisme était fabriqué avec des boîtes de conserve. Une autre séquence montre le sac bourré de papiers en tous genres, lettres et coupures de journaux, accumulées en vrac, sur lesquels il y en aurait « plus d’une journée à tout raconter » nous dit la personne qui les a apportés.

De nombreuses photos sont également collectées. Leur identification entraîne les souvenirs de la vie d’avant, en Pologne en Hongrie ou en France, telles ces belles jeunes femmes parcourant la Promenade des Anglais, ou ces familles nombreuses dont on arrive à nommer chacun des présents. A chaque pièce présentée correspond un fragment d’une histoire de vie, le bonheur quotidien, la peur, l’emprisonnement, la fin qu’on subodore. Ainsi un témoin, deux ans à l’époque, et sur la foi de deux images très vagues, a retrouvé la maison où il avait été caché, la personne qui les a aidés, notamment en fournissant du lait, denrée rare et précieuse pour un bébé.

La sobriété du commentaire et des prises de vues laisse intacte l’émotion qui sourd de ces images simples, presque banales, de ces pauvres et dérisoires objets, permettant que les traces, fussent-elles fragiles, subsistent de ce qui a été.