Gilles Kneusé, Par cœur

mercredi 28 mars 2018, par Gabrielle Dupré

Gilles Kneusé, Par cœur, éd. du Mauconduit, 2018, 160 p., 15 €.

Les chats sont supposés avoir sept vies, ou peut-être neuf. Gilles Kneusé, en tout cas, en aura eu au moins deux. Dans la première il était médecin, chirurgien même, pour être précis. Puis à 36 ans il a abandonné la médecine pour devenir comédien, un pari audacieux s’il en est. Vingt ans après, il s’est lancé dans une entreprise nouvelle, l’écriture d’un livre, nourri de ces deux vies si différentes : cela a donné Par cœur.

Que la passion du théâtre anime ce livre, c’est la première découverte. On est presque là dans la fameuse règle des trois unités chère au théâtre classique : unité de temps (même si ici plusieurs soirées se confondent en une seule…), unité de lieu – la scène d’un théâtre – unité d’action : le drame d’un acteur vieillissant, dont la mémoire s’en va. Pour nous communiquer ce sentiment, Gilles Kneusé alterne, en chapitres brefs, les moments des répétitions et de la première, moments rythmés par des indications horaires, et les souvenirs de sa vie de médecin, depuis sa formation jusqu’au moment où il a décidé de changer de vie.

Nous avons affaire à une histoire vraie. Un théâtre parisien prépare la représentation du Minetti de Thomas Bernhard. La pièce se déroule un 31 décembre au soir, dans le hall d’un hôtel d’Ostende. C’est le portait d’un acteur vieillissant, venu rencontrer un directeur de théâtre afin soi-disant de « jouer Lear, encore une fois le jouer, une fois rien qu’une et puis plus ». Ce rôle est joué par un grand acteur français, qui se trouve dans le même cas. Dans cette pièce Gilles Kneusé joue un rôle secondaire, celui du portier. L’interprète principal n’est jamais nommé, et puisqu’il en est ainsi, je ne le nommerai pas non plus. Mais il est facile à reconnaître… Une amitié s’est développée entre les deux comédiens, le monstre sacré et le quasi débutant, et ils en sont arrivés à une sorte d’arrangement. Profitant de ce qu’il n’a pas souvent la parole, le portier soufflera son texte à Minetti, si besoin est. Et Dieu sait si cela va être nécessaire, car il s’agit d’ « un texte infernal, une sorte de mise à l’épreuve pour n’importe quelle mémoire […], du pur et dur Thomas Bernhard ».

Alors ils travaillent avec acharnement, ils se coltinent ce texte redoutable ; les incidents se multiplient, l’anxiété monte. Gilles Kneusé montre ce travail en cours, avec des phrases courtes et efficaces, ponctuées de brèves citations du texte de la pièce. En flash-backs, les séquences de la vie passée du jeune médecin, avec d’autres types d’angoisse. Mais les moments de légèreté ne manquent pas, quand la grâce est présente, avec des pointes d’humour : il faut voir comment les gens s’entendent à demander à l’ex-médecin des conseils d’ordre médical au moment le plus inopportun.

Le livre s’achève sur la soirée de la première : finalement, tout se passe bien… En contrepoint, le récit d’une intervention chirurgicale : point culminant, comme pour la première représentation, de la tension et des enjeux. Happy end, tout le monde s’en tire bien, au bloc comme sur la scène… « On s’est bien amusés, non ? » conclut Minetti.