Georges Horan-Koiransky : Journal d’un interné. Drancy 1942-1943

jeudi 13 septembre 2018, par Véronique Leroux-Hugon

Créaphis Editions, 2017

Le journal de Georges Horan-Koiransky est hallucinant, illustré si l’on ose dire par un volume d’estampes publié en 1947 et réédité en 2017 avec le même titre : Le camp de Drancy, seuil de l’enfer juif. Dessins et estampes 1942-1947. Créaphis publie parallèlement le journal à partir non du manuscrit original mais d’une version dactylographiée postérieure. Publication fondamentale, tant y transparaît la personnalité de son auteur, la rigueur et la profondeur des observations du grand dessinateur qu’il est, visible dans son écriture et dans les dessins évoqués. On peut en envisager la lecture sous trois angles : un constat précis, incontournable, sur la vie dans le camp de transit de Drancy, sur la préparation des convois vers Auschwitz, la déportation d’enfants. L’auteur évoque aussi son statut particulier de juif « NARJ », on y reviendra. Enfin se découvre la personnalité de cet artiste, désespérément en quête de papier pour ce témoignage graphique.

Arrêté le 11 Juillet 1942, l’auteur rappelle le 22 juillet : « Je renouvelle ma volonté d’être l’enregistreur et le transcripteur fidèle de ce que je verrai. Ce sera une création douloureuse. » Après sa libération, le 16 avril 1943 : « J’écris ceci pour moi. Pour me libérer d’une obsession… je suis intoxiqué de Drancy, saturé [par la] maléfique influence de ces images : je n’ai qu’un moyen de leur échapper : les fixer sur le papier ». Dans des entrées irrégulières, il pose un regard attentif parfois humoristique sur la vie quotidienne au camp, son (in)organisation matérielle, les arrivées et départs incessants dans une pagaille étonnante, les exactions et pillages des PQJistes, la Police des Questions Juives. Chargé d’aider à l’organisation des convois, il décrit la mécanique des transferts, les rouages de la machine à déporter. Particulièrement choqué par le sort des enfants, il note, le 15 août 1942 : « Sainte Marie mère de Dieu ! C’est votre fête ! Le fruit de vos entrailles est béni ! Un millier d’enfants viennent de recevoir la bénédiction divine et sont internés dans le camp ». Il excelle à faire ressentir l’angoisse permanente qu’engendrent les rouages du monstre, l’horreur, le soulagement quand il quitte quelques jours Drancy pour Pithiviers et Beaune La Rolande : « Un peu de repos ne me nuira pas… ne plus voir toujours ces horribles scènes, ne pas pétrir cette argile humaine de désespérance et d’angoisse. »

Cette angoisse, il va la connaître pour son compte dans les derniers jours, à guetter son nom dans la liste des déportables. En effet Georges Horan-Koiransky a le statut un peu spécifique de NARJ : initiales terribles qui signifient : Non Appartenance à La Race Juive. En principe, ce statut proclamé à Nuremberg en 1933 préserve de la déportation les conjoints d’aryens, à condition qu’ils puissent en produire le certificat, celui que sa femme va présenter très tôt lors de son arrestation mais qui tardera à être reconnu. Caustique, il ponctue ses notes de : « Qui veut des maris d’aryennes ? » et remarque : « Le fait d’avoir épousé une aryenne était l’indice d’un abandon de la race juive en faveur de l’aryanisme. J’aurais pensé quant à moi que la contamination d’une aryenne par un abject juif était une aggravation ». Ce statut va néanmoins permettre sa libération le 13 mars 1943, il explique aussi la spécificité de son regard sur ces huit mois d’emprisonnement, la qualité d’observation d’un artiste témoin infiniment précis. Toujours en quête de papier pour dessiner, quand on ne lui confisque pas les feuilles envoyées dans les colis hebdomadaires, il dessine avec les moyens du bord, signale par exemple sur l’architecture de Drancy : « et moi qui ne vis que par les couleurs, les lumières, les peintures, les formes, les traits, les oppositions des ombres et des lumières, gratte-ciel de Drancy je vous ai vus en peintre et non pas en interné ». Le 21 juillet, il observe les douches : « Je regarde les anatomies ridiculement terribles échappées du délire de quelques nécromanciens flamands et ressuscités par quelques esprits blasphémateurs. » Réservé sur le judaïsme, il demeure sensible à la célébration du Grand Pardon dans le camp en septembre 1942 : « Tout Israël est là, dans sa douleur, sa confession, sa misère, sa déportation. »

Libéré après 8 mois d’internement en mars 1943, il se fabrique de faux papiers, se cache et s’engage dans la Résistance.