Emmanuel Carrère : Un roman russe

mercredi 22 août 2007, par Janine Mesnildrey

POL, 2007

J’ai découvert Emmanuel Carrère dans l’émission du Bateau-livre. Je retiens qu’il a écrit son livre Un roman russe sur l’histoire de son grand-père maternel bravant l’interdiction de sa mère, l’académicienne Hélène Carrère d’Encausse. Quelques temps après j’ai pris au vol à la radio quelques bribes de "Répliques" où il était invité avec l’écrivain Philippe Forest. Une nouvelle érotique parue dans le Monde avait choqué des lecteurs. Le rapport avec les auteurs interviewés et leurs livres m’était resté mystérieux. C’est donc avec une double curiosité que j’ai commencé ma lecture. L’écriture court avec une rare aisance entre les actions, les pensées, les angoisses, les élans et les joies de l’écrivain. Je suis estomaquée par le ton, l’audace de certains aveux qui peuvent ne pas être en son honneur. Je pense parfois à Michel Leiris. Ses portraits, sa façon de juger les différences sociales sont d’une crudité incroyable et il les assume presque candidement. "Je sais, écrit-il, qu’on va juger mes jugements."

Son précédent livre l’a laissé exsangue, il veut changer. Un nouvel amour, le désir d’apprendre enfin à parler russe, le projet de se libérer par l’écriture d’un secret familial en affrontant l’interdiction maternelle voilà ce qui le meut, le rend vivant. Il y a une acmé dans le livre. Je ne veux rien dévoiler mais c’est sacrément culotté. Est-ce vrai ? Après tout j’étais en train de lire un roman. Pas de pacte autobiographique explicite. Je me suis sentie balancée entre le réel et l’insensé, balancée entre la provocation et la candeur, balancée entre l’esbroufe et le risque tauromachique. Vertige. Même refermé, le livre me lancinait. Quand l’auteur écrit au début du livre qu’il ne veut plus se laisser enfermer dans ses propres pièges, que sait-il de celui qu’il est encore en train d’ourdir ? Que doit cette phrase à la lucidité de l’auteur ? au montage d’un livre ? Il est tellement ligoté par sa foi dans les déterminismes psychologiques, et de préférence dans ceux qui font la part belle aux forces négatives et au malheur. On peut presque deviner l’avis d’une mère… Aïe ! Emmanuel est comme ça, il faut qu’il se brûle !

La présence dans la même émission, de Philippe Forest et d’Emmanuel Carrère ne devait pas être due seulement aux hasards du calendrier éditorial. Deux écrivains talentueux aux tropismes inversés nous confient leur combat pour la vie. L’un s’élève vers la joie et la liberté (lire le magnifique Sarinagara), l’autre est aspiré par le sombre et la malédiction. Passionnant pour les apaïstes ! Emmanuel Carrère a envie de changer. Trouvera t-il son point d’inflexion ? Je lirai ses livres à venir.

(On trouvera un article plus développé sur ce livre ainsi que sur le film Retour à Kotelnich dans le n° 46, oct 2007, de La Faute à Rousseau ).