Claude Lanzmann : Le lièvre de Patagonie

jeudi 26 novembre 2009, par Sylvette Dupuy

Gallimard, 2009, Folio

Ah le joli livre ! A l’instar des lièvres, ces seuls animaux capables de passer sous les barbelés d’Auschwitz, ou de bondir sur les routes de Patagonie pour rappeler à l’auteur qu’il est bien vivant, Lanzmann rappelle qu’il a traversé le XXe siècle en vivant plusieurs existences avec pugnacité.

Même s’il fait des infidélités à la chronologie parfois, parce qu’il suit tel ou tel personnage et ne veut pas le quitter, le lecteur suit un très jeune Résistant qui s’engage à 17 ans dans les Jeunesses communistes, suit les classes préparatoires à Louis-le Grand où il a pour condisciple Jean Cau. On assiste à la rencontre décisive avec Sartre qui le subjuguera par son intelligence et bien sûr avec Simone de Beauvoir avec laquelle il vivra sept ans. Le Castor rendu soudain plus humain, une jeune femme belle et amoureuse et tellement anti-conformiste.

On suit la triste destinée de sa sœur, la comédienne Évelyne Rey, qui partage sa vie avec Deleuze, Sartre, Rezvani, Claude Roy. On y voit la naissance des Temps Modernes , les discussions sur le conflit israélo-arabe. Et surtout la genèse de son film Shoah qui lui aura pris dix ans et qu’en dépit de tous les obstacles – et ils sont nombreux – il mènera à bien. On voit comment petit à petit, embarqué dans une histoire dont il ne prévoyait aucunement les difficultés, il resserre son sujet, rejette les images d’archives pour que ce ne soit plus que la parole des vivants, bourreaux ou survivants, qui témoigne de l’indicible. Document exemplaire qu’on a envie de revoir, une fois ce livre fermé .

Mais de l’humour il y en a aussi quand, par exemple, jeune étudiant, Lanzmann se déguise en abbé pour mendier dans les beaux quartiers ou lorsqu’il essaie de séduire une infirmière nord-coréenne dans les années 50 sous haute surveillance de « types en casquettes » assez patibulaires. Et toutes ces aventures dans une prose débridée, magnifique. Un beau parcours d’homme.