Christiane Wronski : La Papesse

mercredi 4 juillet 2018, par Alice Bséréni

éditions Tarabuste, mai 2018

Quel beau livre ! Un livre poème et un long poème livre. L’histoire d’une rencontre entre un personnage et son auteure, partie sur la piste d’une énigme dont elle ignorait tout lorsqu’elle s’est engagée sur les chemins herbus de son Quercy natal. Sans le savoir encore, elle allait à la rencontre d’un nom, d’une histoire, d’une légende jusqu’à l’étrange maison qu’habitait « la Papesse ». On entre dans la maison pour rentrer dans le livre. Un livre atmosphère, envoûtant, comme l’a été sans doute l’hôtesse de ces lieux. Un livre écrit au « je » à ses débuts, puis s’en va explorer le destin d’une femme mise à l’index par bien des préjugés. Un livre délicat qui fait chanter les mots et vibrer les pensées, s’agiter l’émotion, se mêler les mémoires, les dires et les actes, les commérages aussi. Il n’est pas anodin d’être qualifiée de « darbie, un peu fofolle ». Un livre réparation où va se restaurer l’histoire tumultueuse d’une femme quelque peu malmenée par la mémoire collective. Un livre traversée du temps qui plonge sa plume et ses racines dans la légende assourdie des audaces d’une femme qui vivait seule et disait n’avoir besoin de personne, dans les pierres grises d’une maison, les secrets bien gardés par les chemins broussailleux de la vallée du Lot, les stances des poèmes qu’elle aimait à écrire et puis à déclamer.

Cette femme était poète : « une femme qui écrit ». L’auteure part en sa compagnie à la quête de cette énigme de l’écriture : pourquoi, comment écrit-on ? Se met-on à écrire ? Car nul ne peut, nul ne sait.

Un livre métaphore de cette quête d’écriture où se mêlent intimement le destin de l’auteure et de son personnage, l’une et l’autre « femmes qui écrivent ». Entre Christiane Wronski et Gabrielle Ayral, « Papesse » par filiation d’un sobriquet, car fille de celui qu’on appelait « le Pape », c’est une rencontre fulgurante, fatale pour l’auteure. Et chantent les noms des lieux, les cris stridulants des cigales, le rythme des labours ou la levée des phosphates, les galops de la fidèle jument. Et se mettent en scène les amours et les rituels d’un village avec ses occasions de déclamer les poèmes et de chanter la paix, ceux de la Papesse et d’autres rimailleurs. Du Club des poètes du Quercy elle a reçu le prix du « plus beau poème pour la paix ».

Peut-être est-ce la raison pour laquelle la forme poétique s’est imposée au livre, et ravit le lecteur. Un chant, une musique et la danse des mots composent la symphonie d’une vie oubliée, du destin peu banal de cette « darbie » dés-enfouie des friches d’une époque que le temps et la mémoire érodent. Ne nous y trompons pas, la forme poétique recouvre aussi un travail obstiné, compilation d’archives, de cadastres et autres documents, rencontres et entretiens qui ont redonné vie au personnage et ravivé des émois troubles.

Cette autre femme qui écrit, j’ai eu la chance de la voir à l’œuvre, à la tâche même, le temps d’un été dans sa maison du Jura. Dire l’application avec laquelle elle capture les mots, les traque, les appelle, comment ils viennent à elle chaque matin dans un rituel d’écriture concentré sur sa seule page blanche, et sa déconvenue quand ils ne viennent pas ou qu’ils paressent en route, est un autre bonheur de cette maïeutique avant même le texte à venir. Un bonheur, un labeur qu’elle partage avec circonspection tant la pudeur et la discrétion alimentent le doute constant sur son talent. Le livre de cette « Papesse » est bien l’un des plus beaux hommages que l’on puisse faire à l’écriture quand on s’engage dans ses chemins :

« Ça commence comme ça, le chemin de l’écriture.
On ne sait pas faire.
Il faut le dire. On ne sait pas faire. »
Et pourtant, on le fait…