Benjamin Stora : Vies d’exil 1954-1962, des Algériens en France pendant la guerre d’Algérie

mardi 13 novembre 2012, par Véronique Leroux-Hugon

Dans la trop méconnue Cité de l’Immigration, est présentée jusqu’au 19 mai une exposition très intéressante intitulée Vies d’exil... qui retrace la vie quotidienne des Algériens en France, durant cette guerre qui ne dit pas son nom mais où les immigrés sont particulièrement maltraités.

Par des photographies, la présentation de quelques objets, livres, humbles témoins d’une vie quotidienne difficile, mais aussi musique, œuvres d’art, et surtout de nombreux enregistrements vidéo ou audio comme l’interview d’Abdelkader Zennaf dont la famille s’est installée à Saint Chamond, puisés dans les archives de l’INA, on voit comment vivaient ces travailleurs, dans les mines ou le bâtiment, et leurs familles, suivant le fil rouge du déroulement de la guerre de 1954 jusqu’à la liesse de l’indépendance. Dans ces vitrines se lit aisément ce que fut l’accueil de la France à cette immigration, entre méfiance et rejet, nous permettant aussi comme le dit Edwy Plenel de revisiter notre histoire, dans l’apaisement.

L’exposition débute par une installation en labyrinthe, qui m’a semblé illustrer aussi l’enfermement dans lequel les exilés étaient obligés de vivre, notamment dans ces bidonvilles infâmes qu’illustre un reportage significatif, commenté par Benjamin Stora, commissaire de l’exposition avec Linda Amiri.

La structure labyrinthique se retrouve dans la succession des thématiques de la vie quotidienne, les interviews de femmes puisant à l’unique pompe de ces gourbis bricolés de Nanterre ou Gennevilliers, d’enfants rieurs bien obligés d’aller chercher l’eau dans des seaux pesants, mais allant à l’école. Quelques distractions : le transistor, les spectacles à la Goutte d’or, les danseuses et leurs costumes chatoyants, pourtant sommées de recueillir l’argent pour le FLN, modestes cafés, musique et cabarets. Le FLN est en effet présent, le militantisme actif, y compris celui des femmes, le soutien des intellectuels français est visible avec les publications de La question d’Henri Alleg, et l’œuvre d’écrivains algériens comme Mohammed Dib et sa trilogie autobiographique.

Si l’exposition se termine à l’heure de la proclamation de l’indépendance, elle consacre plusieurs panneaux à la journée de sinistre mémoire du 17 octobre 1961, lors de laquelle une manifestation pacifique, partie avec femmes et enfants de Nanterre ou d’autres bidonvilles se transforme comme on ne l’ignore plus, en une répression brutale, le tabassage systématique des manifestants embarqués dans les cars de CRS, la mort de plusieurs, quoiqu’en dise la presse ici reproduite. J’ai trouvé particulièrement émouvants les récits manuscrits de cette manifestation, écrits dans des cahiers d’écoliers comme des témoignages accablants.

Collecte et recueils de témoignages éclairent cette histoire générale, longtemps étouffée, de l’apport particulier de la mémoire individuelle. Le catalogue de l’exposition, édité chez Autrement, complète cette visite. Il donne la parole aux militants engagés dans la lutte mais aussi aux travailleurs ordinaires, à travers récits, lettres ou reproduction de documents administratifs, constamment réclamés par une bureaucratie tatillonne.

Début 2013, un programme de conférences, de rencontres, notamment avec la revue Hommes & Migrations, accompagne cette exposition nécessaire.

Cité nationale de l’Histoire de l’Immigration. Palais de la Porte Dorée ; Paris ; 9 octobre 2012-19 mai 2013.


Image : Benjamin Stora (source site Études coloniales)